Nous avons appareillé de Carthagène le 21 Octobre. Comme souvent après une escale prolongée au port, nous avions hâte de reprendre la mer. Une mince fenêtre météo se profilait depuis quelques temps après des jours de fort vent d’ouest, et de nombreux voiliers sont partis ce jour là. Nous avons pu faire la course avec deux catamarans partis en même temps, mais arrivés bien après … Nous nous sommes arrêtés à la marina de Motril comme prévu pour laisser passer un nouveau coup de vent et avons repris notre route le lendemain vers le rocher.
Nous avons été surpris par un courant contraire très important en plus du vent en pleine face pendant la nuit, aux abords de Malaga. Les lumières de la côte ne nous permettaient pas de bien distinguer le relief et nous avons eu l’impression de littéralement « faire du sur place » pendant quelques heures. Nous n’en étions pas très loin puisqu’il nous est arrivé d’avancer à 2 noeuds, c’est à dire moins de 4 km/h…
Le 24 Octobre, nous avons enfin du vent de travers et avançons à vive allure – au moins 12km/h – vers notre destination. L’approche est assez mythique. On distingue le rocher de loin, et d’emblée on aperçoit les côtes marocaines et les nombreux tankers et cargos à l’ancre ou en transit dans le détroit. C’est un passage à la fois stratégique et symbolique entre Méditerranée et Atlantique.
Voici ce que nous montrait notre traceur à l’approche de la baie de Gibraltar: en vert les très nombreux navires pour la plupart commerciaux, en blanc Sabali avec sa trace violette.
Nous affalons les voiles avant de pénétrer dans la baie de Gibraltar. Il faut slalomer entre les tankers à l’ancre, les bateaux pilotes et les énormes porte containers en marche. Nous allons au port de La Linea de la Concepcion, côté espagnol. Le port est plutôt agréable, les installations récentes et nous sommes amarrés face au rocher mais surtout en face du bateau BO de nos amis Tarik et Nadia !
Dès notre arrivée en début d’après-midi nous décidons d’aller visiter le côté anglais. Même si la nuit fut courte, la météo s’annonce typiquement british les prochains jours et nous avons envie de profiter de la vue.
Après avoir passé la frontière, nous traversons la piste de l’aéroport à pied. Les stations-services affichent des tarifs que nous n’avons pas vus depuis 1999, les cabines téléphoniques rouges font leur apparition, nous sommes bien en territoire anglais.
L’ascension du rocher est un peu rude. Le manque de sommeil se fait cruellement sentir dans les jambes, mais la vue du sommet vaut vraiment le détour, sans parler des fameux macaques qui assurent le spectacle. Un petit belliqueux lorgne sur le sac de Jules. Il le poursuit dans les escaliers dans une folle glissade ventrale qui restera dans l’histoire, mais deux autres macaques font diversion en se poussant par-dessus la balustrade, nous sommes sains et saufs.
Le ciel est dégagé ; on peut voir la côte africaine, l’Atlantique au bout du détroit, et de l’autre côté la mer Méditerranée. La balade est belle, pas mal de sites datant de la seconde guerre mondiale à visiter également, mais nous faisons l’impasse, sauf sur la gro-grotte.
Les jours suivants, nous retournons côté anglais pour « déguster » un fish&chips avec les copains bateaux, et faire des points météos avant la traversée vers les Canaries. Nous discutons également longuement des stratégies à adopter en cas de rencontre avec les Orques. Depuis 2020, le détroit, les cotes portugaise et espagnole sont le théâtre d’interactions entre orques et bateaux. Les cétacés s’en prennent aux safrans dans lesquels ils tapent violemment ou croquent, allant parfois jusqu’à faire couler des voiliers. La principale discussion concerne la route à suivre pour sortir du détroit. Les années précédentes ils étaient sur la côte atlantique à cette période, suivant la migration des thons. Pas de chance, ils viennent de revenir dans le détroit, et plusieurs interactions viennent d’avoir lieu.
Il nous faut également réouvrir le chapitre du pilote automatique et procéder à l’échange du calculateur défectueux. Nous sommes en contact avec Tim de chez Sheppard, côté anglais. Il a bien notre nouvel acu qu’il peut nous échanger contre le défectueux, mais il ne peut pas passer la frontière avec. Si nous venons dans un port coté anglais, il pourra intervenir, sinon, il nous faut aller chercher à pied le nouveau pilote, et passer la douane avec. Mais Tim nous met en garde : il ne faut pas se faire prendre !… Nous optons pour la solution pédestre, et Damien part un matin, version touriste, sac à dos, bouteille d’eau et go pro, casquette vissée sur la tête pour l’échange de pilote. Les douanes se contre fichent du contenu du sac de Damien, et nous pouvons reprendre l’installation où nous l’avions laissée.
Il n’y a pas de difficulté particulière concernant l’installation de l’électronique. L’échange du vérin se passe plutôt bien également. Les choses se gâtent franchement quand il s’agit d’installer le capteur d’angle de barre. Notre ancien pilote n’en avait pas quand nous avons acheté Sabali, mais il y en a probablement eu un auparavant, car certaines pièces sur le secteur de barre sont évocatrices.
Ce capteur doit permettre au calculateur d’avoir un retro contrôle sur les mouvements de la barre imposés par le vérin. La notice d’installation est laconique, et nous n’avons que très peu d’espace autour du secteur de barre. Les possibilités d’installation sont assez limitées, et nous ne voyons pas comment reproduire les recommandations de la notice dans notre espace restreint. Nous contactons de nouveau Raymarine France afin de leur demander si une installation en miroir de celle recommandée est possible. Ils finissent par valider cette possibilité après maintes précautions. Damien s’attelle donc à la tâche et dans l’après midi nous partons tester le nouvel équipier devant le port. On pourrait nommer ce chapitre « échec et désillusion ». Le pilote fait n’importe quoi, le vérin un bruit que nous trouvons louche, bref ça ne marche pas du tout.
C’était samedi, peu de chance de trouver quelqu’un pour nous aider durant le week end. Je suis tout de même allée demander à la capitainerie s’ils n’avaient pas un Rojo sous la main, mais nous n’étions plus à Carthagène, ils n’avaient pas vraiment de technicien à recommander, tout au plus une personne peut-être, mais qui ne parlait qu’espagnol. J’ai donc rappelé Sheppard qui m’a conseillé d’envoyer un mail.
Lundi matin à 8h30, j’avais Tim au téléphone qui m’expliquait que l’installation du capteur d’angle était la deuxième chose la plus difficile à faire ( je ne sais pas quelle est la première), mais qu’il pensait savoir d’où venait le problème. Une heure plus tard il était sur le bateau à nous expliquer, schémas à l’appui, comment il fallait monter ce satané capteur. Rojo s’appelait donc Tim à Gibraltar.
L’horizon du pilote s’est très nettement éclairci après l’intervention de Tim, et tout a fonctionné une fois que Damien a mis en application les précieux conseils.
Nous avons ensuite attendu une fenêtre météo entre toutes les dépressions qui s’enchainaient dans l’atlantique nord. Nous avons visité les villages blancs du sud de l’andalousie, et bien sûr fait des courses!
Le mardi 7 Novembre 2023, nous sommes partis pour les iles Canaries avec 5 autres voiliers.