Traversée transatlantique – 17 jours sans toucher terre

Nous y sommes. 

La fenêtre météo est là, le bateau est prêt, l’avitaillement est terminé. Enfin, disons plutôt que Damien a dû arrêter de retourner acheter des denrées supplémentaires puisque nous appareillons aujourd’hui.

A ce propos, il a une façon bien à lui de prévoir l’avitaillement. Certains bateaux font des tableaux excel avec la quantité de chaque ingrédient nécessaire, un calendrier avec les menus de chaque jour etc… Chez les Sabali, Damien part seul avec ses sacs de course et visite tous les lieux où se vend de la nourriture : marchés couvert ou découvert, petits commerces, étals dans la rue, supermarchés, et il achète tout ce qui lui parait bon où ce dont il pourrait faire quelque chose. Comme dirait Jules : l’avantage avec Papa c’est qu’on ne va pas mourir de faim. On croule plutôt sous les réserves « au cas où » car « on ne sait jamais » ! Nous voilà avec un magnifique régime de bananes, une douzaine de préparations pour mousses au chocolat cap verdienne, des kilos de riz, de pâtes, de farine et de nouilles chinoises et tout un tas d’autre choses qui nous suivent déjà depuis l’Espagne et Les Canaries. Les fonds du bateau sont pleins, la banquette de notre cabine et notre lit sont également couverts de sacs de course et le plancher rempli de 160litres d’eau en bouteille.

L’agitation est perceptible dans la marina. Beaucoup de bateaux ont prévu un départ ce jour-là, y compris nos amis Graal.  Les copains sont présents pour nous aider à larguer les amarres, et puis c’est le grand saut. C’est parti pour une traversée de 2200 miles en voilier, soit environ 4000 km, à une vitesse moyenne de 5 à 6 nœuds, soit environ 10km/h. Attention ça décoiffe !

A 13h30, nous appareillons. Le départ est très chouette, avec plein d’autres bateaux autour, les cornes de brume et les sifflets, les voiles qui se hissent. Il y a 15 à 20 nœuds d’est, mais le passage entre l’ile de Sao Vicente et Santo Antao est une zone d’accélération du vent. Nous partons donc avec 2 ris et le génois partiellement enroulé. 

Vers 16H30, les dauphins sont autour du bateau, c’est une distraction bienvenue pour faire baisser un peu la pression du départ. 

Le 24 Décembre, il n’y a plus aucun bateau sur l’AIS. L’équipage prend ses marques. Nous sommes tous un peu fatigués et mous. Il nous faut nous habituer aux mouvements constants du bateau, aux nuits entrecoupées de quarts. Nous avons de nouveau la visite de nombreux dauphins sauteurs. Dans l’après-midi, nous recevons un appel VHF de Graal. Ils ont un problème de pilote automatique. Même s’ils en ont un de secours, ils préfèrent repartir vers Mindelo pour réparer. C’est un coup dur pour eux. Le soir, le réveillon est mou, comme nous. Nous dinons de nouilles chinoises Soba et Damien prend le premier quart à 20h00.

Le 25 Décembre, les enfants ouvrent leurs cadeaux qu’ils trouvent sous le sapin ! Nous commençons à prendre le rythme, et pour fêter ça, on s’offre un bon plat de gnocchis.

Le 26 Décembre, les voiles sont en ciseau, avec le génois tangonné sur bâbord. Sabali se traine à 4 nœuds. A sa décharge, il est chargé comme une mule et le vent est faible. Nous avons parcouru 360 miles depuis le départ. Damien nous concocte un bon rougail saucisse. 

Le 27 Décembre, on traverse un banc de dorades coryphènes. On les voit depuis le bateau, juste sous la surface. Une dorade saute hors de l’eau toute raide pour attraper un poisson volant. Les sargasses avaient jusqu’à présent nui gravement à la pêche. Ces algues se prennent en effet dans le leurre et nous obligent à le remonter régulièrement pour l’en débarrasser. Cette fois, les mahi-mahi sont tout autour du bateau, nous en pêchons un.

Le 28 Décembre, nous avons parcouru 588 miles. Le vent est faible à 10-12 nœuds, le ciel et la mer sont gris.

Vers 19h, 3 cibles AIS « fishing » apparaissent. Leurs trajectoires sont erratiques, et on ne voit aucun bateau alentour. Le jour baisse, Damien prend la décision de les appeler à la VHF. C’est Maloya qui nous répond, un voilier à portée de VHF ! Mais Damien leur demande de quitter le canal car il cherche à joindre les bateaux de pêche. C’est pourtant Maloya qui nous apporte la réponse à notre question : ces cibles AIS sont en fait des dispositifs de concentration de pêche qui ne risquent pas de nous répondre…

Les jours suivants, nous continuons l’école, le dessin, un jeu sur l’ipad, le puzzle de 1000 pièces, la cuisine, Riptide au Ukulele.

Le 30 Décembre, nous sommes à la longitude de Recife, nous avons parcouru 843 miles. En fin de journée nous repérons un groupe d’oiseaux qui volent en cercles. Ils plongent. C’est une chasse. Nous nous déroutons et pêchons un thon. 

Le 31 décembre c’est repas de fête grâce au thon de la veille : thon mariné, makis, salade de choux.

Le 1er Janvier 2024, le ris 1 a cassé. On le remplace avec un des nombreux boutes à bord « au cas où ». Le plus délicat est le passage dans la bôme. Nous utilisons le ris 3 pour passer un guide, puis l’aguille d’électricien pour passer les réas. Dans la soirée, nous voyons un voilier sur l’AIS, c’était notre voisin de marina à Mindelo.

Le vent forcit sur cette deuxième partie de transat. Il est plutôt à 20-25 nœuds, et nous avançons plus vite. L’inconvénient c’est que la mer se forme également, la houle devient inconfortable. Dans la nuit, Damien en est même tombé de la banquette pendant qu’il dormait. 

A partir du 5 janvier, la trinquette remplace le génois, et nous gardons 2 ris dans la grand voile. La mer est désordonnée, la houle atteint 3 m. 

Un fou brun vient nous rendre visite. Il vole autour du bateau et chasse les poissons volants qui fuient notre étrave. Nous sommes ravis de cette visite, mais nous déchantons vite lorsqu’il se pose sur notre antenne Starlink. Il crépit nos panneaux solaires de fientes en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Aux grands maux les grands moyens, nous devons le chasser avec la gaffe pour l’empêcher de rester sur son promontoire. 

Depuis quelques jours, nous préparons une bouteille à la mer. Les enfants ont écrit un petit mot et nous avons pris une photo de nous avec le polaroïd. Nous avons tout mis dans une bouteille de cidre avec un peu de riz et Damien a scellé la bouteille au sika. Le 5 Janvier, la bouteille est jetée à la mer.

On a fini le puzzle, ça sent la fin ! On a très envie d’arriver, même si les jours s’écoulent assez paisiblement

Au fur et à mesure que nous nous rapprochons des Antilles, les grains se font plus fréquents. On les repère de loin la journée, avec leurs gros cumulonimbus et parfois la pluie en dessous. De nuit, c’est plus difficile, et parfois nous nous faisons surprendre par une soudaine montée du vent.

Le 9 Janvier est ponctué de grains, la mer est bien formée et la houle relativement courte.  On aperçoit la terre à environ 20 miles des côtes. Nous sommes accueillis par des dauphins sauteurs ! Le cap est difficile à tenir et nous voulons arriver de jour en Martinique car il y a de nombreux casiers et filets de pêche. Un gros grain vient encore nous secouer avec ses 35 nœuds. Un peu plus tard c’est un autre grain, pluvieux celui-ci, qui nous survole.

Nous atteignons le canal de Sainte Lucie. On voit une tortue et, comme attendu, plein de casiers, signalés par des bouteilles à peine visibles. 

L’odeur de la terre humide et du feu nous parvient. Nous voyons la végétation luxuriante de la Martinique en la contournant par le Sud. 

Nous arrivons dans la baie de Sainte-Anne et mouillons juste après le coucher du soleil le 9 Janvier 2024 à 22h30 UTC. 

Nous sommes ravis, fatigués mais pas épuisés, fiers de nos 2300 miles parcourus et d’être arrivés en Martinique avec notre Sabali.

NB : deux mois plus tard, nous recevrons un coup de téléphone d’un Martiniquais qui a retrouvé notre bouteille sur une plage du François. La bouteille nous a suivis, et s’est échouée côte Atlantique de la Martinique

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